Interview d'un mouton bibelot

Vous me demandez ce que cela me fait d'être un mouton dans le troupeau parmi d'autres. Eh bien c'est génial! Pas de responsabilités! Pas de décisions à prendre! Pas besoin de se poser de questions! Finalement faire comme les autres c'est ni plus ni moins se comporter comme un adolescent qui se respecte.

Et puis la peur de la solitude, connais pas!Il y a toujours un copain ou  une copine avec qui discuter. On peut se serrer les uns contre les autres pour ne pas avoir froid.

Pas de questions métaphysiques sur la longueur de la frisure et la couleur des mèches! Le coiffeur passe à domicile  une fois par an, et on a tous la même coiffure, pas de jaloux! Bien sûr c'est un peu radical, genre coupe légionnaire et après on se sent un peu nu et gêné. Mais l'ambiance chaleureuse du groupe aide à surmonter l'épreuve.

Certains soirs d'été quand nous sommes dans les hauts pâturages, nous organisons des soirées contes. Nous aimons faire peur aux petits avec des histoires tragiques d'agneaux imprudents et de loups affamés. Ca leur cloue le bec! C'est notre petite vengeance. Faut dire que les mômes sont souvent bruyants, toujours à chercher leur mère pour se coller à leurs mamelles. Si ça ne tenait que de moi je les collerais à la garderie, ça leur ferait les sabots à ces morveux!

Mais vous savez la peur du loup c'est un mythe. Il y en a si peu, la probabilité de se faire dévorer est vraiment infime. Non, le vrai danger vient de ces traditions religieuses ridicules que les humains suivent à la lettre. Sans vous vexer, sur ce plan,  ils ne se comportent pas différemment de nous. D'ailleurs ne se font-ils pas appeler eux-mêmes des brebis? Etrange non? Bref, quand ils débarquent , c'est le seul moment où il faut réfléchir vite, trouver le bon endroit pour se planquer, savoir se fondre dans le groupe pour passer inaperçu et espérer que c'est le voisin qui prendra....

Avec l'histoire de la tremblante du mouton j'ai cru que les humains n'oseraient plus nous toucher. Figurez-vous qu'ils sont devenus fous, comme leurs vaches. Ils nous ont dégommé par troupeaux entiers, uniquement parce que l'un d'entre nous avait des crises de spasmophilie! Ils sont vraiment dingues! J'ai même entendu dire que des troupeaux étaient nourris avec de la farine animale! Vous vous rendez compte que ça fait de nous des cannibales! Est-ce que vous feriez un gâteau avec de la farine faite avec les cendres de votre arrière-grand-père?

Bon je m'égare, ça suffit, et j'entends Brigitte dans les escaliers; il faut que je retourne sur mon étagère. Revenez l'an prochain...si vous ne m'avez pas mangé!